Près de deux semaines après le meurtre de Thomas, dans la «Drôme des collines», la colère ne retombe pas contre la cité de la Monnaie de Romans-sur-Isère, dont sont originaires plusieurs des suspects.
Des champs nus, des forêts, un bourg, des champs encore. Le paysage défile pendant que Benjamin, 45 ans, disserte au volant de sa voiture, le long d’une petite route entre Romans-sur-Isère et le village d’Hauterives. « Les agresseurs de Thomas, ils ne s’intègrent pas, ce sont des délinquants. Ils crient au racisme dès qu’il y a une embrouille ! » Deux semaines après le meurtre de Thomas, la colère reste vive dans cette « Drôme des collines » que Benjamin arpente depuis vingt-cinq ans. […]
Tandis que l’enquête des gendarmes progresse, un face-à-face s’est installé entre ces deux France. L’une rurale, de la classe moyenne, tournée vers la nature et le rugby. L’autre citadine, vivant dans la cité de la Monnaie, plus défavorisée.
« Les chasseurs disent qu’ils vont aller régler la situation à la Monnaie. Si ça continue, ils pourraient faire une descente avec leurs carabines », assure Jacques, 60 ans. « Moi, je ne crois plus à notre gouvernement pour remettre l’ordre », poursuit ce commerçant de Romans. Dans un restaurant de Hauterives situé en face de celui des Perrotto, Louis, 54 ans, gronde : « La prochaine fois, on ira sur le point de deal, et on calmera ces voyous. Avec quelques coups de poing s’il le faut. »
Depuis le meurtre de Thomas, les opinions politiques de certains vacillent sous le poids du sentiment d’injustice. Les témoignages de neuf invités de la soirée auprès des enquêteurs évoquant une bande de jeunes venus « tuer des Blancs » ont échauffé les esprits. Sur le parvis de l’église de Saint-Donat-sur-l’Herbasse, où ont eu lieu les obsèques de Thomas, Lisa lâche avec colère : «Politiquement, j’ai toujours été modérée, mais moi ce racisme antiblanc, il me donne envie d’être raciste en retour. » À Hauterives, Louis se dit « convaincu que c’était une expédition raciste ». […]
À l’est de Romans, les bâtiments défraîchis du quartier de la Monnaie ont été construits dans les années 1960 pour accueillir la main-d’œuvre des ateliers. Louane, 58 ans, y a passé son enfance avec ses parents venus d’Algérie. « On vivait en harmonie avec les autres : les Italiens, les Espagnols, les Arabes. On avait une enfance heureuse, sans beaucoup d’argent, mais on s’en est sortis. Il n’y avait pas de trafic de drogue. Et à la maison, on était musulmans pratiquants », raconte celle que les souvenirs font sourire : « Ma mère était fan des femmes françaises chics ! Aucune d’entre nous ne se voilait, non ! Nous, on voulait ressembler à Catherine Deneuve ! »
Un lent délitement du quartier a eu lieu, selon elle, à partir de la fin des années 1990. « Avec les années noires en Algérie, on a vu arriver des familles différentes. Je n’aime pas dire ça, mais elles étaient moins évoluées », glisse une autre habitante.
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